Catégorie : Rencontres

Rencontre d'un français atypique, mais qui m'a néanmoins très inspiré

Hier, je suis allé à la cité internationale de Paris, un parc immense au sud de Paris, qui fournit des logements aux étudiants de diverses nationalités, et ce dans un cadre fort joli, mélangeant architecture du 19ème, un château français au centre, tout autour des bâtiments qui représentent chacun un pays différent, et parsemé ici et là d'arbres et de gazon. Samedi était une journée très animée, puisque c'était la fête de la cité, avec de multiples spectacles, dégustations, concerts et expositions, le tout dans une bonne ambiance puisque l'organisation était prise en charge par les étudiants.

Je dois vous dire d'abord que la journée avait très mal commencée. Toute la compagnie nationale des chemins de fer m'a cherché des noises et m'a couru après pendant une heure; SFR, la pseudo concurrente de France Telecom, persistait à ne pas me laisser téléphoner. Ensuite, les gens avec lesquels j'étais supposé passer l'après midi n'étaient pas là. Ils étaient soit absents physiquement ou mentalement. A ce moment là, je m'étais dit tout de suite que je m'en foutais complètement de ce qui leur passait par la tête et que je continuerais ma journée.

J'ai donc continué seul ma petite exploration. La brochure énumérait alors une liste d'expositions de peintures " post moderne " contemporaine et autres concerts de musique " expérimentale ", de rencontres conceptuelles et ultra abstraites avec des philosophes. Le sens même de ces manifestations m'échappait complètement. Je suis allé à une expo photographique. J'avais lu : " …un sac à dos et un appareil photo à travers l'Afrique et l'Asie …", et mon intuition me disait qu'il y aurait là quelque chose d'intéressant.

Les photos en elle-même étaient magnifiques. Elles n'étaient pas particulièrement extraordinaires, dans le sens où j'avais sûrement déjà vu ce genre de paysages auparavant, quelque part au détour d'un magazine ou d'un reportage. Mais il y avait une luxe d'effets de lumière et de couleurs, et qui était brillamment mis en valeur par l'éclairage particulier du lieu. Ce qui m'a surtout frappé, c'est que le photographe se plaisait à saturer les poses mais choisissait en même temps un cadrage et des scènes qui respiraient la tranquillité. J'ai fait connaissance un quart d'heure plus tard avec l' " artiste " en question, qui s'appelle Franck Vogel. Il a dans les 25 ans et est allé au Kenya, en Tanzanie, en Inde, au Népal et en Asie du Sud-est l'année dernière.

Franck Vogel

 

 

Copyright 2002 - Photographie Franck Vogel

 

 

Ce qui m'a vraiment plu, je pense, est l'authenticité de son projet. Je connais beaucoup d'admirateurs de Yann-Arthus Bertrand, un photographe français qui a produit une série de paysages intitulé " La terre vue du ciel " (Regardez 01 - 02 - 03 pour vous faire une idée - Copyright Yann Arthus Bertrand). Ses photos sont très jolis et il a apparemment le coup d'œil pour prendre en photo des paysages. Mais je sais qu'il lui a suffit de prendre l'avion, et de lever le petit doigt pour qu'une armada d'hélicoptères apparaisse à son service. Et je sais aussi qu'avec les mêmes moyens, vous, moi ou votre voisin du dessous, pourrait aller là-bas et faire exactement la même chose. Ici, ce n'est pas du tout le même état d'esprit. Les photos et l'histoire de ce jeune homme vous inspire et vous touche, parce que vous savez de quoi ça parle et que ces photos racontent une aventure réelle. Je peux vous dire que ça me rappelle un été passé au Nicaragua ou mon adolescence à Nairobi. Ca sentait l'aventure et le parfait backpacker*, et j'en étais de plus en plus sûr à fur et à mesure que je discutais avec lui. Franck est parti de la France en janvier 2002 avec un sac à dos et son matériel photo. Trois jours après, il était à pied et prenait les matatus*, ou se faisait prendre en stop par des locaux. Deux semaines plus tard, il vivait au milieu de masaïs et de leur troupeaux. Quand je vois une photo de moines bouddhistes au Népal, je sais qu'il a vécu au sein de cette communauté pendant plusieurs semaines, dormi par terre comme eux et partageant le boire et le manger, aussi spartiate soit-il.

Arrivé à ce stade, cette rencontre et cette discussion avec ce français m'a rappelé quelques pensées incongrues que j'avais quelques années auparavant, que vous allez trouvez inadaptés sur Evry.depeches, mais qui vous feront d'une certaine manière comprendre l'âme de ce site. Je ne sais pas si vous y avez réfléchi, mais je trouve assez marrant le fonctionnement des souvenirs. Par exemple, de mes années étudiantes, quatre ans auparavant, je me rappelle avoir eu beaucoup de tâches à faire et une charge énorme de travail à un moment donné. J'apprenais mécaniquement des pages et des pages de formules mathématiques et de physique. Et pourtant, je ne pourrais pas vous dire actuellement une seule équation. Il me reste seulement des portraits de personnages par ci par là, des paysages, l'odeur des oliviers et du soleil de Provence, la première nuit où j'ai vu de la neige tomber, la façon dont je me suis enguelé avec un prof, des rires bruyants, ou de cette lettre que m'a envoyé ma mère. Ou des caresses et des clins d'œil volés à une fille. Ou des instants forts ou j'avais envie de crier tellement fort et sauvagement, parce qu'à ces moments-là, j'avais alors réussi à atteindre avec brio l'inimaginable et l'inattendu. Je suis sûr que vous êtes d'accord avec moi : même si vous réalisez un travail qui a nécessité des efforts énormes pendant toute une période de votre vie, il y a de grandes chances que vous ne vous en souviendrez pas, parce que c'était fait mécaniquement avant tout. De tous vos souvenis, il ne vous restera plus tard que le panache et le style, le coeur que vous y avez mis, et les moments où vous vous êtes éngagé à 100%. Exit les faits.

C'est à la suite de ce genre de réflexion que je m'étais dit qu'il fallait vivre la vie entièrement comme on dit, lancer des défis et les accomplir, vaincre les limites, et penser qu'avec un brin de force et de courage, on soit capable venir à bout de n'importe quel obstacle. Il ne s'agit pas ici des petits et pseudo problèmes quotidiens et plus ou moins éphémères. Il suffit de rencontrer un "aventurier" comme Franck Vogel pour élargir votre horizon et penser aux 5 milliards de gens que vous ne connaissez pas encore, des dizaines de millions de km² de pays que vous n'avez pas encore visités et des 4000 ans d'histoire à découvrir. Certains diront que c'est exageré et qu'en pensant ainsi, je cherche les ennuis et qu'il va m'arriver forcément les pires expériences. A ceux-là, je dirais simplement que nous essayons trop souvent de définir notre réalité et notre environnement par les meilleurs moments et renier et éviter les mauvaises expériences. Et, pour être franc, les expériences les plus mauvaises vous apportent toujours quelque chose. Je les prends comme elles viennent et j'apprends à relever la tête plus tard; et à faire mieux et rapidement dans ce genre de situations les prochaines fois.

Bref, c'est ce genre d'état d'esprit qui peut engendrer ce site. Evry.depeches n'est pas gratuit, dans le sens où on ne peut pas se décider du jour au lendemain à écrire sur vos expériences quotidiennes : savoir écrire ne suffit pas du tout, il y a l'inspiration ancré profondément derrière tout cela, qui lui insuffle la vie, comme le dirait si bien une de mes connaissances.

Et l'exemple de Franck Vogel était encore plus encourageant. On ne fait certainement pas la même chose, mais, au fond, les motivations se rejoignent.

 

Après quelques instants de réflexions, j'ai pensé que le plus marrant finalement, était de rencontrer cet aventurier français dans un sous sol obscur et silencieux d'un immeuble parisien, avec la pluie et le ciel gris qui faisait figure de décor à l'extérieur, sachant qu'il a goûté aux joies de paysages flamboyant noyés d'un soleil magnifique et rencontré toute une panoplie entière de gens colorés... Et de savoir qu'il vit peut être maintenant une vie de parfait parisien. Mais après avoir parlé suffisamment longtemps avec lui, je pense qu'après avoir vécu ces nombreuses expériences, il réussit à prendre du recul et qu'il ne fait plus les choses comme tout le monde.

 

 

Dimanche 25 Mai 2003

 

Pour ceux qui habitent à Paris, l'expo est prolongé du 26 au 29 mai. C'est ouvert de 19h à 21h. Faites-y un tour, c'est juste à la Maison de l'INA, Cité International de Paris.

 

Notes concernant cet article :

Matatus : bus de taille moyenne, de fabrication japonaise, qui a été décoré avec des couleurs vives, et qui compose la majorité des transports en commun au Kenya. Transporte deux fois plus de passagers que les normes recommandées.

Backpacker : backpack est un sac à dos en anglais. Le terme désigne les voyageurs qui visitent un pays sans suivre les circuits classiques et part à l'aventure, avec beaucoup d'improvisation. Un terme équivalent serait "routard" en français.

Bravo à Franck Vogel et surtout bonne continuation.