Catégorie : Economie

Quelques concepts de management

Je connais un malgache qui s'est trouvé récemment face à un dilemme. Une société française lui avait proposé un emploi très motivant et qui correspondait entièrement à ce qu'il cherchait. Mais il a refusé de signer le contrat, n'étant pas assez rigoureux et précis à son goût.

Les responsables de cette société française, qui étaient habitués aux contraintes des lois françaises sur le travail, qu'ils prenaient donc pour acquis et implicites dans un contrat, ne pouvaient pas comprendre pourquoi un étranger comme lui voulait que chaque point soit explicité dans tous ses détails. Jusqu'au moment où ils apprirent que dans certains pays, un candidat à un poste devait se protéger lui-même et faire attention aux abus, et qu'un contrat solide avec la compagnie était la seule façon de le faire. Comme vous le savez peut-être, il n'y pas de sécurité sociale par exemple à Madagascar, ni de système de retraite. Nous n'avons jamais entendu parler non plus d'allocations chômage ni de droits des travailleurs. Et pour quelqu'un qui vient d'un tel système, nous sommes surpris de se voir proposer un contrat de travail rédigé sur une seule page, ce qu'un manager français demande généralement. C'est parce ce responsable sait que toute une floppée de lois le protégera.

Finalement, le malentendu disparut, mais il fut spectateur d'autres problèmes de mécompréhension culturelles, dus principalement au fait que cette société était en train de fusionner avec un concurrent américain.

Par exemple, à l'époque où il fut intégré dans son service, beaucoup de managers français étaient en train d'être rapatriés de nouveau à Paris, parce qu'ils affichaient une arrogance que les employés américains ne pouvaient supporter. Je crois savoir que beaucoup de ces personnes étaient des clones typiques d'un système éducatif français élitiste et académique, qui a certainement plus de points communs avec les méthodes anciennes chinoises (mandarines) de préparation à la responsabilité que les méthodes de management et de marketing anglo-saxonnes. Entendez par là que le management à la française rime avec connaissances encyclopédiques, rigueur et mathématiques, en fait tout l'héritage du Descartes, qui a infiltré toute l'éducation et la culture française.

Plus tard, il m'a explique longuement que d'autres types de détail furent aussi source de conflit : les réunions étaient par exemple un moyen pour les français de comprendre ce qui se passe dans leur environnement, tandis que les managers américains voyaient ce long processus d' " essais " de compréhension comme un bavardage sans fin. Pour eux, une réunion était avant tout une occasion d'établir des plans d'action et les responsables français perçurent cela comme un désir impulsif de partir à l'aventure avant que la situation ne fut comprise parfaitement. C'est à cet occasion que notre ami malgache trouva la situation fort divertissante; c'est comme atterrir dans une bataille rangée, ou si vous voulez une conversation entre deux sourds. Cela lui permit d'oublier ses petites mésaventures du début, bien innocents par rapport à l'atmosphère actuel.

Bien sûr, on ne peut résumer un manager américain à un David Crockett en puissance ou un manager français à un adepte de Descartes. Les nuances sont multiples, et je sais que la réussite de la fusion était dû au fait que les français savent très bien faire leur travail et ont un très haut niveau technique. Les américains furent surpris de voir autant de " philanthropie " et d'intégrité chez les français, qui voulaient bien dépenser de l'argent dans la recherche et développement et dans l'investissement. Avant l'acquisition, beaucoup des usines US marchaient avec un fonds très limité et ne recevaient plus d'argent frais. Beaucoup trop souvent, paraît-il, un manager américain qui sait qu'il gardera son job pour seulement deux ou trois ans aura tendance à diminuer drastiquement les investissements nécessaires. L'argent ainsi économisé allègera ainsi la facture finale. Ceci provient du fait que ce manager sait qu'il sera jugé à partir des résultats et profits tous les quatre mois. Malheureusement, son successeur va devoir se débrouiller à recoller les morceaux, se débattre avec les lois anti-pollution, se trouver confronté avec des accidents de travail à cause d'installations vétustes, ou rencontrer un des multiples dangers qui auraient pu être évités grâce à une maintenance préventive minimum. Cette attitude à court terme est étrangère aux français qui s'enorgueille de mettre au premier plan la sécurité, la santé, la maintenance et la qualité de leurs produits. Ils furent surpris de voir que la plupart des usines américaines acquises étaient autorisés à sortir des produits bricolés avec quelques bouts de scotch et de ficelles.

Que dire de plus ? S'il vous faut travailler en France et retenir une idée de cet article, ce serait le matérialisme et relationnel d'un côté, et plutôt la rigidité et abstraction de ce côté de l'Atlantique. J'allais oublier aussi l'élément principal, si vous devez travailler un jour dans ce pays, il existe un lieu majeur où les relations professionnelles se font et défont, où des millions d'euros sont négociés, où les hiérarchies se mettent place et l'intégration sociale dans la société se réalise, c'est la cafétéria et le restaurant…


 

Fin Mai 2003